L'architecture paysagère

"Dans un parc, qui dans le fait doit n’être qu’un paysage idéal sur un espace limité, il faut copier la nature, il faut l’épier dans ses réduits les plus agréables."

Eduard Keilig, 1856

Domaine campagnard, le Bois-Lombut ne comporta longtemps comme seul bâtiment qu'un "pavillon hexagonal en brique, à toiture d'ardoise à six pans à égout retroussé surmontée d'une toiture polygonale à l'impériale et d'un bulbe piqué d'une girouette. Ce pavillon, appelé "Pavillon Madame" en souvenir de Madame de Bergerand, propriétaire de l'époque, est le seul élément préexistant à la composition paysagère en place" [1].

Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, le Baron et la Baronne de Crawhez décidèrent de faire aménager ce domaine familial en parc paysager. 

Ils chargèrent alors l'architecte paysagiste Friedrich Eduard Keilig [2] d’y ordonnancer un parc à l'anglaise. 

Dans le même temps, ils agrandirent le pavillon des étangs et firent construire, en 1869, le château actuel par l’architecte Emile Tirou [3] qui restaura aussi l'église Saint Jean-Baptiste de Gosselies et qui, s'inspirant de la  Grande Halle de la Villette (Paris), réalisa les très beaux abattoirs d'Anderlecht.

Eduard Keilig1827-1895[Portrait tiré de sa nécrologie dans le Petit bleu du matin 31-7- 1895]
Le Baron et la Baronne de Crawhez
© L. le Hardÿ de Beaulieu

D’origine allemande, naturalisé belge en 1868, Eduard Keilig fut en Europe du Nord, avec Fuchs et Petersen, l'un des architectes-paysagistes les plus réputés de la seconde moitié du XIXe siècle.

Après avoir commencé sa carrière au parc royal de Charlottenburg (Berlin), il arriva en Belgique où il dessina plusieurs parcs et jardins privés. Mais il fut aussi l’auteur de divers travaux réalisés à l’initiative du Roi Léopold II [4] ou de grandes villes telles qu'Anvers, Bruxelles ou Liège.

Il aménagea par exemple des espaces verts de l’Avenue Louise, de l’Avenue de Tervuren ou de l'Avenue Fr. Roosevelt, mais aussi les berges des étangs d’Ixelles ; il créa encore le parc de la ville d'Anvers (classé comme Monument en 2009), le parc d’Avroy à Liège ou encore une partie du parc du Cinquantenaire. Il intervint également dans le domaine de Mariemont à Morlanwelz, etc.

"Le parc du Bois-Lombut montre comme aucun autre - à cette échelle et dans les circonstances données - les caractéristiques du travail de Keilig."

K. Hebbelinck, Eduard Keilig (1827-1895) en de Belgische tuin-en landschapsarchitectuur van de 19de eeuw, Universiteit Gent, 2012, ISBN 978-90-7083-072-4. (Trad.) 

On sait aussi que c’est lui qui dessina le Bois de la Cambre [5].

Se rendant d’ailleurs compte du patrimoine exceptionnel laissé là par Keilig (sur une surface comparable à celle du Bois-Lombut), la Région de Bruxelles-Capitale [6] décida en 2006 de le faire restaurer à concurrence près de 12 millions d’Euros.

C’est aussi Keilig qui dressa un très beau plan du domaine du Bois-Lombut dont il ne reste hélas que quelques fragments à la suite de pillages durant la deuxième guerre mondiale. 

© L. le Hardÿ de Beaulieu

L’architecture physique du domaine

La conception retenue pour le parc du Bois-Lombut - et qui lui a valu son classement [7]- correspond parfaitement aux idées que Keilig a exprimées maintes fois et, en particulier, dans une série de « Lettres sur l’architecture des jardins » publiées dans le Journal d’Anvers en 1856. 

Ainsi, le dessin du parc évite l’abus de la « ligne serpentante » et privilégie l'équilibre physique et visuel d'une triple corbeille de chemins qui se déploient - au Nord, au centre et au Sud - en un ample mouvement au milieu de prairies, pelouses et bosquets avant de passer le long des étangs et de la cascade.  C'est ce que Keilig appelle - dans sa troisième lettre - la recherche d'une certaine forme de "symétrie".

Keilig aime également une certaine pureté dans la variété des essences choisies et met en garde contre le fait que «trop d'égards aux végétaux étrangers ne (crée) qu’un mélange confus, contraire au pittoresque". Quoique diversité, variété et changement soient recommandés, l'ensemble d'un parc doit être harmonieux et donner une impression de calme et de tranquillité doit en émaner[8].

Une triple corbeille de chemins confère un équilibre général à l'espace  central du parc.

Un autre exemple de sa marque réside dans le recours à l'art de la rocaille [9]. En témoignent les ponts qui enjambent le deuxième étang. Ils ne peuvent manquer de rappeler par leur architecture le ravin du bois de la Cambre à Bruxelles. D'ailleurs, il travailla vraisemblablement dans les deux cas avec J.-B. Gindra. Ultérieurement viendront une cascade et un jardin d'hiver, typiques de cet art.

© L. le Hardÿ de Beaulieu

Un des ponts du Bois-Lombut

© L. le Hardÿ de Beaulieu

Ravin du Bois de la Cambre

© L. le Hardÿ de Beaulieu

Jardin d'hiver

© L. le Hardÿ de Beaulieu

Jardin d'hiver

L’architecture visuelle du domaine

Il est important de remarquer combien, de manière discrète mais efficace, a été pensée la vue du domaine qui s’offre au regard depuis le château [10]. Chaque perspective s’évase latéralement selon un angle large conforme au regard humain. 

Dans le même temps, s’agence le champ des profondeurs. Si le regard s’y porte au loin sur les limites extérieures qui ferment le parc [11], il rencontre également en chemin des masses arborées intermédiaires. 

Enfin, c’est avec  discernement que les ondulations du terrain créent dans la troisième dimension des effets paysagers de bon aloi, recourant parfois à quelques enrochements [12].

Que le visiteur soit statique ou qu'il se déplace, c'est aussi grâce à son propre regard qu'il devient - aujourd'hui encore - créateur de l'oeuvre du maître paysager du XIXe siècle: une oeuvre immuable dans sa conception mais également changeante parce qu'elle est vivante, parce qu'elle se colore de manières différentes selon les heures du jour et selon les saisons et parce que l’œil de chacune et chacun est différent.

De même, selon la vision du concepteur, "par des trouées choisies, l’on attire, pour ainsi parler, les environs dans le parc qui va s’y perdre"[13]. A divers endroits, le promeneur extérieur au parc ou même aujourd'hui l'automobiliste, dispose de vues parfois profondes dans le domaine.

Les principaux axes 

de la structuration visuelle du parc.

Avec La Hulpe, Argenteuil, Enghien et Beloeil, le Bois-Lombut fait partie des cinq grands parcs historiques classés de Wallonie [14].

"Puisque notre temps a quelque peu négligé de créer ces jardins, il faut veiller d'autant plus à conserver dans leur intégralité les trop rares exemples qui nous restent.. (...) 

Ces exemples remarquables doivent être conservés, restaurés, entretenus".

René Pechère, 

Président du Conseil international des Jardins et des Sites Historiques,

in "Les jardins historiques, leur restauration, leur intérêts pour les jardins contemporains", Monumentum, vol XX-XXII, 1982,  p. 36.

Parc à l'anglaise ou à la française ?

Les parcs à l'anglaise s'organisent selon des chemins pleins de surprises, permettant de découvrir des points de vue inattendus et souvent pittoresques. Ils sont conçus pour mettre en valeur des éléments naturels remarquables. On y cherche, comme dans un tableau, l'équilibre des couleurs, des matières végétales et des volumes. les lignes sont fluides et les plantes abondantes. L'organisation du parc à l'anglaise en une succession de points de vue pousse les concepteurs plutôt à exploiter qu'à corriger les accidents du site. L'itinéraire n'est pas balisé: la promenade y laisse une grande part à la surprise et à la découverte. La nature est un mélange d'irrégularités et de désordres que les jardins à la française ne peuvent pas reproduire. L'homme cherche maintenant à établir un rapport de continuité entre nature et jardin [15]

A Gosselies, on voit combien Keilig, tout en conservant son approche spécifique, présente une certaine forme de relais intergénérationnel avec la pensée du paysagiste anglais Humphry Repton lorsque ce dernier écrit: "The perfection of Landscape consists in the four following requisites: First it must display the natural beauties, and hide the natural defects of every situation. Secondly, it should give the appearance of extent and freedom, by carefully disguising or hiding the boundary. Thirdly, it must studiously conceal every interference of art, however expensive, by which the natural scenery is improved; making the whole appear the production of nature only; and fourthly, all objects of mere convenience or comfort, if incapable of being made ornamental, or of becoming proper parts of the general scenery, must be removed or concealed" [16].

[1].        Parc et jardins historiques de Wallonie, Inventaires thématiques, Vol. 3, MRW, 1999, p.35. Ce bâtiment datant vraisemblablement de la deuxième moitié du XVIIIe siècle existe toujours et constitue l'un des points d'ancrage du regard dans le parc autant que depuis l'extérieur de celui-ci.

[2] .        Edouard Keilig naquit en 1827 à Roedgen en Saxe et décéda en 1895 à Bruxelles. Voir la notice biographique que Xavier Duquenne lui a consacré dans le Tome 3 de la Nouvelle Biographie nationale, Publ. de l’Académie royale de Belgique, p. 207; Katrien Hebbelinck, “Friedrich Eduard Keilig en het stadspark van Antwerpen”, in: Monumenten, landschappen & archeologie,n° 2 van 2009 blz. 46-70; Piet Lombaerde, “Frederik Edward Keilig”, Nationaal Biografisch Woordenboek, Brussel, 2002, deel 16, kol. 503-507;  (Collectif) Le patrimoine et ses métiers, Liège, Région de Bruxelloise,  Pierre Mardaga, 2001.

[3].       Né le 25 avril 1841, Emile Tirou fit probablement ses études d’architecture à Mons. Il réalisa de nombreux travaux en région bruxelloise et dans les environs de Charleroi. Il habita rue du progrès (actuellement rue Astrid) à Gosselies. C’est lui aussi qui y élabora les plans de l’hôtel de Ville (démoli au début des années 1970) ou l’accès au Lycée royal ; c’est lui encore qui y prépara les plans de nombreuses nouvelles voiries et fut en charge d'une profonde restauration de l'Eglise Saint Jean-Baptiste dans les années 1870. L’une de ses œuvres les plus connues réside sans conteste dans les abattoirs (classés) d’Anderlecht. Enfin, il reste divers courriers échangés entre le Baron de Crawhez et Emile Tirou concernant la construction de l’actuel château du Bois-Lombut. Sans que nous disposions actuellement de la date précise de son décès, il est probable que celui-ci soit survenu vers 1900, dès lors que l’année précédente il déclare la mort de son frère Arnaud Louis et que la « Gazette de Charleroi » du 24 mars 1901 indique que sa veuve et ses enfants vendront la maison familiale le 30 mars suivant.

[4] .        Liane Ranieri, Léopold II urbaniste, Hayez, Bruxelles, 1973, p.78 et 223.

[5] .        Voir X. Duquenne, Le bois de la Cambre, Bruxelles, 1989

[6] .   Voir http://www.beliris.be/cambre/leaflet_fr.pdf  - consulté 11 mai 2013 et http://www.beliris.be/projets/bois-de-la-cambre.html - consulté le 29 novembre 2018 où il est question  d'un investissement de restauration à hauteur de 14 millions d'euros.

[7].        Dès la première moitié du XXIe siècle, le Bois-Lombut a été classé comme site au sens de la législation sur le patrimoine. Aujourd'hui l'article art . 3. 7° c) du Code du patrimoine, définit le site comme "toute œuvre de la nature ou toute œuvre combinée de l’homme et de la nature qui constitue un espace remarquable au regard d’un ou plusieurs critères visés à l’article 1er, suffisamment caractéristique et cohérent pour faire l’objet d’une délimitation topographique".

[8] .        F.E. Keilig, « Lettres sur l’architecture des jardins », Lettre III. - Journal d’Anvers, 6 mars 1856

[9]. Sur les ponts, la cascade et le jardin d'hiver, v. O. De Bruyn, "Un poumon vert, le domaine du Bois-Lombut à Gosselies", Les Nouvelles du Patrimoine, 2020, n° 165, p. 24 et s.; sur les ponts, v. Nathalie de Harlez de Deulin, Les jardins du château d’Annevoie. Histoire et génie hydraulique, ed. Société archéologique de Namur, Namur, 2020, p. 187.

[10].      La manière dont ces perspectives ont été pensée est observable sur les fragments qui ont pu être conservés du plan de Keilig. Cela se trouve d'ailleurs illustré par les lignes pointillées qui figurent sur l'extrait du plan original présenté ci-dessus.

[11].       La perspective la plus longue se développe vers le Nord, ce qui permet de la contempler depuis les pièces d'habitation principales et la grande terrasse du château également orientées en cette direction. Cette variété du champs des profondeurs est également caractéristique de la vision que Keilig évoque dans sa 2e lettre sur l'architecture des jardins. Voir F.E. Keilig, « Lettres sur l’architecture des jardins », Lettre II.- Journal d’Anvers, 28 février 1856.

[12] .        Voir N. de Harlez de Deulin, in Parcs et jardins historiques de Wallonie, IPW, Namur, 2008, p. 99-100.

[13].          F.E. Keilig, « Lettres sur l’architecture des jardins », Lettre II.- Journal d’Anvers, 28 février 1856

[14].         Il s'agit ici des cinq parcs historiques intégralement classés sur plus de 100 hectares.

[15].         Source: site de l'académie d'Orléans - https://www.ac-orleanstours.fr/fileadmin/user_upload/ia28/doc_peda/Arts_visuels/Art_et_nature/pdf/Jardin_anglais.pdf 

[16].        Humphry Repton, An enquiry into the changes of taste in landscape gardening : to which are added, some observations on its theory and practice, including a defence of the art, Taylor, London, 1806, p. 33-34, (https://archive.org/details/gri_enquiryintot00rept/page/n47/mode/2up); Trad. "La perfection du jardin paysager satisfait les quatre exigences suivantes : Premièrement, il doit mettre en évidence les beautés naturelles et dissimuler les défauts naturels de chaque situation. Deuxièmement, il doit donner une impression d'étendue et de liberté en veillant à camoufler ou à cacher les limites. Troisièmement, il doit veiller à dissimuler toute intervention , même coûteuse, de l'art, qui embellit le paysage naturel et donne à l'ensemble l'apparence d'un site naturel et quatrièmement lorsque les éléments servant uniquement à la commodité ou à l'agrément ne peuvent pas devenir des ornements, ou être parties intégrantes du décor, il convient de les déplacer ou les dissimuler".